Voilà, ça y est, je stresse.
Les premiers exemplaires de Pulp.com sont arrivés à destination.
Il y a des lecteurs qui a l'instant même où j'écris ces mots sont en train de le feuilleter tout en ingurgitant leur sandwich jambon-beurre ou leur slimfast pour les lectrices féminines.

Non, mais quand même faut imaginer la scène, et c'est là que toute la portée dramatique de l'instant prend son sens.

Installé à son bureau, Jean-Julien tient en main un petit mag orange, avec une jolie nenette dessus et Edouard Munch au verso, alors qu'à coté de lui, le gras du beurre de son sandwich laisse une trace sur son agenda à la page d'aujourd'hui. A quelques centaines de kilomètres de là, les rédacteurs en chef - moi surtout, parce que Traffic, je suis sûre qu'il jure sur la tache que la mayo de son club sandwich au thon a laissée sur son bureau plus qu'autre chose- tout minuscules derrière leur pc, le bout des doigts gelés, un café à moitié froid ayant pris sa place habituelle sur la tablette du bureau - là où il y a l'auréole brunâtre qui ne s'en va plus déjà - passent de page en page à la recherche des avis sur leur boulot.
Bigre ! Ils disent rien ! Ils ont détesté, c'est certain, ça y est, on est foutu, on est mort, c'est la fin, dieuuuuuuuu venez me chercher, ayez pitié, me laisser pas moisir dans ma déception et ma honte.

Que je me dirais, sûrement, d'autant plus si je croyais en dieu.

Jean-Julien lui, mord une bouchée dans son pain et ouvre la première page.
Ah, l'édito, qu'il se dit en mâchouillant.
C'est bien vrai tiens ça, qu'il dit encore, en enlevant le bout de jambon coincé entre deux dents.
Mouais, moi aussi j'ai pas besoin des conseils de ces beaux messieurs, y'a pulp.com maintenant, alors je m'en tape ! Qu’il ricane en buvant un coup dans sa canette pour faire descendre le tout.

Il tourne une page, encore.
Purée ! Une guitare. Et un texte aussi ! Fred ? C’est qui çui là, qu'il se demande en écrasant le sandwich pour l'entrer plus facilement dans la bouche. C’est foutrement bien écrit son truc. "A huit cents kilomètres heure, à dix mille mètres d'altitude, nous sommes à peine le fruit du départ, des étrangers obscurs réunis au-dessus de trois pays à la fois, au-dessus du vide de la mer". Jean-Julien, il se cale dans son fauteuil, et il se dit que ça fait 6 mois qu'il a plus pris de congé. Il tourne la page.

Jean-Julien, il a manqué d'avaler de travers avec ce con de Monsieur Monsieur. Ca l'a fait rire. Faut dire qu'après Fred, ça fait du bien, parce qu'il sentait bien un petit spleen qui arrivait, puis ce n’était pas le moment. Puis à côté, il y a des mots écrits dans tous les sens, et des étoiles qui meurent au coin des lèvres, alors il pense à Sarah. Il prend son portable et il relit le dernier sms, faut pas qu'il oublie de lui répondre. Faut pas.

Il a tourné une page, il ricane en mordant à pleine dent dans le jambon. Ha ha, ouais, comment c'était le bon temps. Faut dire quand même que ça fait une plombe qui traîne son clavier de sites en sites, lui aussi il a connu tout ça. 'Tain, Jean-Julien, arrête là ! On dirait ton grand-père ! La nostalgie camarade, la nostalgie.

Il reste quelques miettes sur le bureau quand il entame Gilonimo. Une histoire d'amour. C'est pas vraiment son truc, mais il lit quand même, juste pour voir. Puis il se marre. Quel con ce mec qu'il se dit. Faudra que je fasse lire ça à Miguel, il va trop rigoler. Ouais, moi aussi y'a des matins je me réveille en étant amoureux.

Puis Jean-Julien, il aurait voulu tourner encore une page, mais Miguel vient de rentrer de la cantine et la pause déj est déjà finie. Alors il range son mag dans la poche de sa veste, puis il se dit que c'est pas grave, il le lira ce soir, dans le métro.

C'est flippant quand même quand on y pense, non ?

Moi stressée ?? tsss si peu

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