Mais oui, qu'ils rient!
L’Indien à la bouche cruelle, aux paroles rares et empesées de sagesse, c’est sans doute à ses muscles faciaux et son vocabulaire autrefois restreint en anglais qu’on doit cette légende. Car ceux que j’ai connus sont de grands fantaisistes.
Marcus, un Santo Domingo Pueblo au masque austère rendu d’autant plus sombre qu’il n’aimait pas trop ma blancheur – avoir le cœur blanc n’est pas un atout dans sa tribu – me fait encore rire à son insu : sa femme et ses filles m’ont montré une photo de lui, les lèvres maussades mais les mains polissonnes et baguées de turquoises soutenant deux melons enfilés sous sa chemise.
Un autre Indien du même pueblo a tout simplement adoré ma traduction d’une chanson française connue de tous les blagueurs d’antan, Le duc de Bordeaux. « C’est comme ce qu’on chante au village » a-t-il dit, ravi.
Lors du tournage du film « Cheyenne Autumn » de John Ford, ce sont des Navajos qui ont eu les rôles de Cheyennes. Après tout, pour nous les blancs, on n’y voit que du feu et les Indiens principaux étaient des blancs en perruques et fond de teint. Et ces Navajos se sont amusés à dire tout ce qu’ils connaissaient d’irrévérencieux lors des scènes où, imperturbables et d’une dignité à nous faire sentir bien humbles, ils échangeaient des paroles historiques.
Le livre « La robe noire » de Brian Moore - qui a donné naissance au magnifique film du même nom - regorge de gros mots (soigneusement transcrits et traduits par les Jésuites horrifiés de l’époque) qui nous laissent pantois et ont poussé les Jésuites à affirmer que les Algonquins étaient des dégénérés. Et les noms imagés par lesquels ces « nobles sauvages » s’identifiaient entre eux ont, trop souvent hélas, été censurés par la plume puritaine des traducteurs/recenseurs. Mais oui, qu’ils rient ! Et pas un peu…